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Les barrages sur le Mékong: une source de tensions au Laos

Le Laos, pays pauvre et enclavé, fait partie des pays les moins développés selon l’Organisation des Nations Unies, qui les définit comme des pays désavantagés dans le processus de développement. Pour remédier à cela et stimuler sa croissance économique, le Laos a pour ambition de devenir « la batterie de l’Asie du Sud-est » et d’exporter quelques 20 000 Mégawatts d’électricité vers ses voisins d’ici à 2030. Cette ambition lui permettrait aussi d’amplifier son pouvoir politique et économique. À partir de 1990, le Laos a donc développé une politique d’édification de barrage hydroélectrique ambitieuse pour exploiter le potentiel du Mékong et ses rivières affluentes. Cette stratégie a été encouragée par les institutions internationales pour favoriser son intégration régionale. La Chine soutient aussi ce projet, ayant elle-même construit 11 barrages en amont du Mékong.


La stratégie du Laos concernant les barrages


L’objectif du Laos est de construire une centaine de barrages pour 2040. Pour l’instant, une cinquantaine de barrages sont en construction, dont neuf sur le Mékong. Trois barrages ont déjà été mis en marche et inaugurés ; le grand barrage de Don Sahong, se trouvant à la frontière avec le Cambodge, le barrage de Nam Theun 2 sur une rivière affluente au Mékong en 2010 et le barrage de Xayaburi en 2019.


Selon les données compilées par le centre de recherche Stimson Center, si tous les projets sont menés à terme, la Laos sera capable de produire 27 000 Mégawatts d’électricité, contre seulement 700 Mégawatts en 2005. Outre l'électrification des villes et villages du Laos, l’électricité produite par les centrales hydroélectriques est majoritairement destinée à alimenter la Thaïlande, pays ayant déjà un excédent massif d’électricité. Aujourd'hui, de nombreux villages n'ont pas encore l'électricité au Laos.


Le barrage de Don Sahong produit 260 Mégawatts par an. Quant à lui, le barrage de Xayaburi, construit par une compagnie thaïlandaise, est un ouvrage d’art de 32 mètres de haut et produit 1285 Mégawatts par an. Pour ce qui est de Nam Theun 2, il a été créé par des entreprises telles qu’EDF ou EGCO et produit 6 000 Gigawatts par an. Plusieurs acteurs internationaux, tels que l’Agence Française de Développement ou la Banque Mondiale ont déclarés que Nam Theun 2 était un projet exemplaire, respectueux des facteurs sociaux et environnementaux ; la réinstallation des populations déplacées ayant été suivie sur plusieurs années et de nouvelles zones humides ayant été créées en amont du barrage.


Aujourd’hui, un nouveau projet de construction est en cours sur le Mékong. La construction du barrage de Sanakhan, à 150 kilomètres au nord de Vientiane, devrait commencer en 2021. Il devrait être opérationnel en 2028 pour produire 684 Mégawatts d’électricité. Ce projet de presque 2 milliards de dollars serait exploité par une entreprise chinoise China Datang Corporation.


Les centrales hydroélectriques, un développement source de multiples tensions


Cette politique de barrages hydroélectriques constitue un enjeu majeur au Laos. Elle joue un rôle dans l’indépendance du Laos, qui a souvent dû vivre avec l’apport de ses voisins. Sa capacité de négociation, ainsi que sa souveraineté nationale et sa stabilité sociale et politique augmente proportionnellement à l’augmentation de ses revenus grâce à « l’or bleu ». Mais les conséquences que peuvent avoir les centrales hydroélectriques sur la vie du fleuve peuvent aussi être une source de tensions avec son voisinage et au sein de sa population.


En effet, le Mékong est un fleuve régional et traverse plusieurs pays d’Asie. Le Mékong fait plus de 4 000 km de long et est le quatrième plus long fleuve d’Asie. Il prend sa source en Chine avant de border le Laos à la frontière de la Birmanie, passe par la Thaïlande, avant de revenir au Laos, puis traverse le Cambodge avant de finir sa course au Viêtnam. Cette politique de centrale hydroélectrique est donc unilatérale et ne prend pas en compte les conséquences que peuvent avoir les barrages sur les autres pays d’Asie du Sud-est.


Cela amène des tensions externes entre les pays d’Asie du Sud-est. Les pays voisins également traversés par le Mékong sont sceptiques quant à la construction de nombreux barrages. Un comité régional consultatif appelé la Mekong River Commission, a pourtant été mis en place et son siège est d’ailleurs à Vientiane.


Il y avait déjà des inquiétudes quant à la main mise grandissante de Pékin sur le fleuve. D’après une étude publiée mi-avril, la Chine peut facilement retenir ou déverser de grandes quantités d’eau grâce aux 11 barrages construits sur la partie chinoise du fleuve, et ceci peu importe la saison et le niveau du fleuve actuel. En automne 2019, par exemple, les Chinois ont brutalement ouvert les vannes, provoquant des inondations en aval. Avant cela, le fleuve était au plus bas. Aussi, la Chine avait affirmé qu’elle avait aussi été victime de la sécheresse. Cependant, deux études, une de l’organisation Eyes on Earth et une du centre de recherche Stimson Center, prouvent que cela était un mensonge, le plateau tibétain regorgeait d’eau alors que le Cambodge et la Thaïlande étaient en manque d’eau. La Chine a donc retenu l’eau dans le but d’alimenter ses propres centrales électriques. La Chine rejette vivement les critiques et les accusations portées sur sa gestion de l’eau du Mékong par les barrages.


Mais cela ne semble pas arrêter le Laos dans ces projets. L’ONG International Rivers considère que le Mékong « a immédiatement besoin d’un moratoire sur les barrages hydroélectriques (…) et non de structures destructrices qui profiteront à quelques-uns au détriment des communautés ». Aucun consensus n’est pris entre les pays qui sont traversés par le Mékong et cela apporte des tensions entre eux. L’ouverture du barrage de Xayaburi a été ressenti avec colère et amertume, en aval, par les pêcheurs thaïlandais.


Un des problèmes des barrages, c’est qu’on ne sait pas les conséquences qu’ils peuvent avoir sur la vie du fleuve. Un hydrologue thaïlandais, Pongsak Suttinon, considère qu’il faut plus de données avant de continuer le projet de Sanakhan. En effet, le barrage de Xayaburi qui se trouve lui aussi sur le lit-principal du bas-Mékong, n’est en service que depuis un an et n’a publié aucune donnée sur le passage des alluvions et des poissons, mais aussi son impact sur la pêche et l’agriculture en aval. Plusieurs organismes et groupes de citoyens demandent donc un report de la construction de la centrale hydroélectrique de Sanakhan.


Tous les barrages construits sur le Mékong, que ce soit ceux sur le territoire chinois ou sur le territoire laotien ont des conséquences désastreuses sur l’écoulement du fleuve et leurs multiplications ne fera qu’empirer les choses. De nombreuses ONG ont déjà averti sur la multiplication de ces projets qui ont des répercussions néfastes sur la faune, la flore et les populations qui vivent à proximité du Mékong.

De nombreuses organisations internationales environnementales et des populations locales sont inquiètes de toutes les conséquences que peuvent avoir les barrages.

D’abord, les pays en aval connaissent une sècheresse inconcevable. Les niveaux du fleuve sont tombés au plus bas à certains endroits en plus de 50 ans. Ensuite, bien que le Mékong soit le plus grand réservoir de poissons d’eau douce au monde, l’altération du débit naturel du fleuve fait que les stocks de poissons diminuent considérablement. En effet, le niveau bas du fleuve empêche les poissons de remonter le cours d’eau et ils ne disposent plus de l’espace nécessaire pour pondre. De plus, les centrales hydroélectriques provoquent la sédimentation du limon de retenue et empêchent les nutriments, d’ordinaire emportée par le flux de s’écouler en aval. En 2019, le fleuve qui a habituellement une couleur café au lait à cause de ses nutriments, est devenu bleu.


Le Mékong n’est donc plus ce qu’il était, le fleuve est en péril, ainsi que ses poissons, sa végétation et la vie des pêcheurs pour lesquels il est une source de revenus. Tous les ans, 2 millions de tonnes de poissons y sont pêchés et la diminution du stock de poissons aura des conséquences désastreuses. De plus, il y a une répercussion sur l’agriculture, car la baisse du niveau du fleuve a accéléré l’intrusion d’eau de mer dans la région du delta au Viêtnam, ce qui affecte la production du riz et aggrave la pollution des sols.

Éric Mottet, professeur au département de géographie de l’Université du Québec, considère aussi que chaque barrage entraîne un déracinement de certaines populations locales, qui ne sont pas souvent compensées. Le Laos étant un pays communiste, rien n’oblige le gouvernement à apporter des aides financières ou matérielles.


Tout ceci impacte la partie inférieure du Mékong sur laquelle vivent 66 millions de personnes dans quatre pays différents. Cela entraîne des tensions internes au Laos, car une partie de la population était déjà opposée aux barrages construits en Chine et les projets se multiplient maintenant au Laos. De nombreuses populations locales s’inquiètent des conséquences que les centrales hydroélectriques peuvent avoir sur leur train de vie. En plus de cela, les barrages peuvent représenter un danger permanent. En effet, en Asie, les effondrements de barrages ne sont pas rares, comme celui de la province de Henan en Chine qui a tué plus de 20 000 personnes en 1975. En 2018, un barrage en construction s’est d’ailleurs effondré dans la province d’Attapeu au Laos. Cet effondrement a déversé 500 millions de tonnes d’eau engloutissant au moins six villages, rendant 6 000 personnes sans-abri et entrainant une centaine de morts.


Aujourd’hui, les fluctuations du quatrième grand fleuve d’Asie sont désormais imprévisibles, les barrages ayant chamboulé son équilibre écologique. Soumis aux perturbations des multiples barrages, de la pollution et de l’extraction de sable, l’état du Mékong suscite des inquiétudes croissantes chez les écologistes et les communautés qui en dépendent, qui urgent le gouvernement Lao de repousser la construction du dernier barrage en date. La Chine a un pouvoir grandissant sur le Mékong et le Laos, petit pays devenu très dépendant de la Chine, est en train de suivre le mouvement.


Bibliographie :


Agence Française de Développement (2018). Au Laos, un barrage hydroélectrique exemplaire. En ligne : https://www.afd.fr/fr/actualites/au-laos-un-barrage-hydroelectrique-exemplaire


Agence France-Presse (2020). Laos : un nouveau barrage sur le Mékong malgré les critiques. En ligne : https://www.geo.fr/environnement/laos-nouveau-barrage-sur-le-mekong-malgre-les-critiques-200646


Arthur Dufau (2018). Au Laos, la multiplication des projets de barrages interroge. La Croix. En ligne : https://www.la-croix.com/Monde/Asie-et-Oceanie/Au-Laos-multiplication-projets-barrages-interroge-2018-07-25-1200957642


Bruno Philip (2010). La Chine nie l’impact de ses barrages sur la sécheresse du Mékong. Le Monde. En ligne : https://www.lemonde.fr/planete/article/2010/04/08/la-chine-nie-l-impact-de-ses-barrages-sur-la-secheresse-du-mekong_1330566_3244.html


Bruno Philip (2020). Barrages sur le Mékong : « Quand les Chinois ouvrent les vannes, c’est un geste politique ». Le Monde. En ligne : https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/09/07/barrages-sur-le-mekong-quand-les-chinois-ouvrent-les-vannes-c-est-un-geste-politique_6051322_3244.html


Bruno Philip (2020). En construisant des barrages sur le Mékong, la Chine assèche ses voisins. Le Monde. En ligne : https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/09/07/barrages-sur-le-mekong-comment-la-chine-asseche-ses-voisins_6051224_3244.html


Fabrice Mignot (2018). Les grands aménagements hydroélectriques du Laos au cœur du bassin du Mékong. En ligne : https://journals.openedition.org/bagf/609


Laos : la construction d’un nouveau barrage sur le Mékong inquiète la population locale (2020). En ligne :


Reuters (2020). Le Laos avance un nouveau projet de barrage sur le Mékong déjà malade. Le Petit Journal. En Ligne : https://lepetitjournal.com/bangkok/le-laos-avance-un-nouveau-projet-de-barrage-sur-un-mekong-deja-malade-273847

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