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Se rassembler pour ne pas s’effacer ! Déclin des financements pour la solidarité internationale

Dans un contexte mondial de désengagement public et de crise du financement de la solidarité internationale, Jean-Michel Courtois, président de Peuples et Montagnes du Mékong, appelle à l’unité des acteurs humanitaires et à la création d’un Congrès national pour redonner souffle, sens et visibilité à la solidarité internationale.


Mobile Boat Clinic - Peuples et Montagnes du Mékong - Solidarité
Lors de la mission du Mobile Boat Clinic de mars 2025, 1201 consultations ont été réalisées en 6 jours

Un parcours d’engagement au service du social et de la solidarité internationale


Depuis l’âge de 19 ans, j’ai toujours investi dans le Travail Social comme professionnel mais aussi comme militant créant pendant toute ma carrière un certain nombre de structures éducatives plutôt alternatives. Depuis une quinzaine d’années je me suis consacré à l’humanitaire et à la solidarité internationale par le biais notamment de notre association Peuples et Montagnes du Mékong. Ce passé m’autorise à revendiquer une autre façon d’être pris en considération dans les actions que nous tentons de développer à l’international et notamment en ce qui nous concerne, le Laos.

Le message suivant se veut fondateur d’une nécessité ; celle de nous entendre et de nous rassembler pour ne pas nous effacer.


Les associations de solidarité internationale en danger


Les associations de solidarité internationale traversent aujourd’hui une période critique. Partout, les acteurs du développement et de la coopération voient se resserrer les marges de manœuvre financières qui conditionnent leur capacité d’action. La crise est mondiale et touche de plein fouet les ONG françaises et notamment pour nous, le Laos.


Le désengagement de la puissance publique dans le financement de la solidarité internationale


En effet, depuis plusieurs années, la solidarité internationale subit un désengagement préoccupant de la puissance publique.

En France, le budget de l’aide humanitaire a chuté de 44 %, passant à environ 500 millions d’euros, alors que le gouvernement s’était engagé à atteindre le milliard. Pour 2026, une nouvelle baisse de 52 % par rapport à 2024 est annoncée pour la “mission solidarité internationale”, ramenant le niveau d’investissement public en-deçà de celui de 2017. Au plan mondial, l’OCDE a confirmé une baisse historique de 7,1 % de l’aide publique au développement (APD) entre 2023 et 2024, mettant fin à cinq années de progression continue.


Evolution de l'APD - Peuples et Montagnes du Mékong
Source : Article sur les réductions de l'aide publique au développement paru en juillet 2025 sur le site de l'OCDE

Des structures de terrain asphyxiées


Ces reculs se traduisent immédiatement sur le terrain. Les petites structures comme la nôtre, souvent les plus ancrées dans la proximité humaine et de terrain se trouvent asphyxiées. Certaines ONG environnementales françaises ont vu leurs subventions publiques passer de 35 % du budget en 2016 (≈ 280 000 €) à 5 % en 2023 (≈ 80 000 €), voire moins de 70 000 € en 2024.

Faute de plans pluriannuels, nous ne savons pas d’une année sur l’autre si nous pourrons continuer à exister.


Un déclin aussi du financement privé


À cette baisse des financements publics s’ajoute une frilosité croissante des donateurs privés qu’ils soient venant d’entreprises ou de particuliers.  Les “petits dons” — inférieurs à 150 € ont diminué de 3,1 % et ne représentent plus que 39 % de l’ensemble des dons, contre 69 % en 2005.

Pourtant, ces contributions privées constituent historiquement la principale ressource des ONG : près de 64 % des fonds du secteur humanitaire provenaient des donateurs particuliers en 2014. De plus, ce sont bien les fonds privés qui garantissent notre indépendance !

Cette dynamique s’affaiblit dangereusement, amplifiée par l’incertitude économique et la montée du désengagement citoyen.

À l’échelle internationale, la crise de financement s’est aggravée avec le gel de l’aide américaine (USAID) en 2025 : plusieurs ONG humanitaires ont vu disparaître jusqu’à 92 % de leurs financements, provoquant la fermeture de projets vitaux dans les domaines de la santé, de la nutrition et de l’éducation.


Le Laos, symbole de la fragilité de l’aide internationale


Cette crise globale n’épargne pas le Laos dont nous avons fait le choix qu’il soit pour l’instant, le seul lieu d’expression de nos solidarités. Le Laos est le pays le plus pauvre de toute l’Asie du Sud-Est. Il dépend fortement de l’aide internationale et en particulier des ONG grandes ou petites pour financer ses politiques sociales, sanitaires et éducatives.


  • En 2022, le Laos a reçu 547,7 millions de dollars d’aide officielle au développement (ODA), contre 575,6 millions en 2021 : une baisse nette de près de 5 %.

  • Entre 2015 et 2022, les flux d’aide extérieure — subventions, prêts concessionnels et dons — ont atteint en moyenne 1,9 milliard de dollars par an, mais avec une tendance à la décroissance : après un pic de 2,5 milliards de dollars en 2018, les montants sont tombés à environ 1,2 milliard de dollars après la pandémie.

  • Le gouvernement lao, conscient de cette vulnérabilité, a adopté une stratégie nationale ODA 2030 visant à mieux coordonner et mobiliser les bailleurs, tout en reconnaissant que plus de 60 % des investissements sociaux restent dépendants de fonds étrangers.

  • Le portefeuille actuel de la Banque mondiale au Laos comprend 25 projets actifs pour un total de 764 millions de dollars, dont une part importante concerne la santé, l’environnement et les infrastructures rurales.


Dans le secteur de la santé et des droits humains, les budgets demeurent limités. Le programme UNFPA “Ending Gender-Based Violence” au Laos n’a mobilisé en 2023 qu’environ 2 millions de dollars, dont la part directe revenant aux ONG locales est marginale. Par ailleurs, le gel de 90 jours de l’aide étrangère américaine en 2025 a immédiatement touché les programmes de déminage, d’éducation et de santé publique. L’organisation COPE, qui fournit des prothèses aux victimes d’explosifs non détonés, a ainsi vu une part importante de son financement disparaître, mettant en danger la continuité de ses activités.


Le pays compte environ une centaine d’ONG internationales actives, souvent britanniques, françaises, japonaises ou australiennes, mais très peu d’organisations locales disposent des capacités techniques ou financières pour assurer la relève. Enfin ces ONG ont leur propre stratégie d’aide et ne se coordonnent que rarement. L’absence de continuité dans l’action en est souvent la résultante.

Cette dépendance structurelle fait du Laos un cas emblématique de la fragilité des modèles d’aide, où la moindre inflexion politique ou économique au Nord entraîne des conséquences immédiates au Sud.


Des coupes budgétaires dans les capitales du Nord jusqu’aux interruptions de programmes dans les villages du Mékong, un même fil relie ces constats : la solidarité internationale s’étiole sous les effets conjugués de la rigueur budgétaire, de la lassitude des donateurs et d’une invisibilité croissante dans le débat public. Ce recul met en danger non seulement des projets, mais aussi des valeurs : celles de la justice, de la coopération et du droit universel à la santé, à l’éducation et à la dignité.


S’unir pour résister


Face à cette érosion financière et morale, une évidence s’impose : aucune organisation ne peut affronter seule un tel contexte. Les acteurs de la solidarité internationale ONG, associations locales, réseaux d’appui, institutions, collectivités, syndicats doivent conjuguer leurs efforts pour défendre une vision commune de la solidarité comme bien public mondial.


Un appel à la volonté politique et à la mobilisation collective


Le temps est venu de réaffirmer notre unité, notre expertise et notre légitimité. Nous proposons que sous l’égide du CHD et de la COORDINATION SUD puisse s’organiser une manifestation nationale annuelle d’ampleur consacrée à la solidarité internationale, à la croisée du plaidoyer, du débat public et de la mobilisation citoyenne.


Cette rencontre devrait permettre :

  • De rendre visibles nos actions, nos innovations et nos réussites malgré la précarité des moyens ;

  • De sensibiliser les pouvoirs publics et les médias à la réalité de notre engagement et à l’urgence de réinvestir dans la solidarité internationale ;

  • De créer une plateforme d’échanges, d’alliances et de mutualisation entre structures et de redonner une parole collective à celles et ceux qui, sur le terrain, portent chaque jour la dignité, la santé, l’éducation et l’espoir.


Dans cette perspective, j’appelle à l’organisation d’une Manifestation nationale annuelle de la solidarité internationale. Cette espace doit être ouvert et fédérateur. Il doit être le reflet de nos expériences, de nos questionnements mais aussi de nos impasses. Il n’a pas vocation à remplacer les instances nationales déjà existantes. Il doit rester un espace libre de construction et de solidarité.

 

Il pourrait être articulé autour de trois axes majeurs :

 

  1. Témoigner : donner la parole aux acteurs de terrain, aux volontaires, aux communautés bénéficiaires et aux partenaires du Sud, pour rendre visible la réalité humaine et concrète de l’action solidaire.

  2. Échanger : entre acteurs de la solidarité internationale, confronter les pratiques, partager les méthodes, valoriser la complémentarité des approches et des innovations sociales de la santé communautaire à l’adaptation climatique, de l’égalité de genre à l’éducation.

  3. Construire ensemble : en promouvant un modèle de partenariat et de coopération fondé sur la complémentarité,  la durabilité et la réciprocité.


Il nous suffit d’avoir la volonté politique pour que cela puisse se faire. Après avoir pendant des années animées et gérées les Entretiens du Travail Social, manifestation nationale qui rassemblait une fois par an  les professionnels du Travail Social, je demeure disponible pour participer modestement à l’organisation d’une telle manifestation. Elle devra être un événement de visibilité nationale, un moment fort où la société civile solidaire fera entendre sa voix. Il ne s’agit pas seulement de se réunir, mais de redonner un cap, de raviver la confiance des citoyens, et de rappeler que la solidarité n’est pas une dépense, mais un investissement pour la paix et la justice mondiale.


Refuser le repli, affirmer la solidarité


Pour ce faire, il faudra certainement dépasser les combats d’arrière-gardes, les égos surdimensionnés et les chasses gardées et autres territoires.

Les crises multiples qui secouent le monde : climatiques, sanitaires, sociales, migratoires et géopolitiques mettent aujourd’hui à rude épreuve la solidarité internationale. Cette dernière se trouve à un véritable tournant de son histoire : elle ne pourra poursuivre son action que si elle parvient à retrouver une forme d’indépendance et de renouvellement.


D’un côté, la crise des financements, l’épuisement des donateurs et la concurrence accrue pour les ressources fragilisent durablement les organisations. De l’autre, les besoins humanitaires et de développement explosent : dérèglement climatique, inégalités croissantes, déplacements forcés, tensions sociales et sanitaires.

Ce paradoxe des besoins sans précédent, face à des moyens en recul invite la solidarité internationale à se réinventer, à repenser ses modes d’action, ses alliances et sa relation aux citoyens comme aux partenaires du Sud. Nous, acteurs réunis au sein du CHD et de Coordination SUD, affirmons avec force que le repli n’est pas une option. Nous refusons la banalisation de l’injustice, la résignation face à la pauvreté et l’indifférence devant les inégalités.


Ensemble, nous voulons redonner souffle, sens et visibilité à la solidarité internationale. Rassemblons-nous, repensons nos organisations, y compris avec une volonté de décentralisation, parlons d’une seule voix et surtout, agissons collectivement.

La solidarité n’est pas un luxe moral : elle est le socle même de notre humanité commune.

Jean Michel COURTOIS

Président

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