Les petites mains de Luang Prabang : L’envers du décor
- PEMM
- 11 juil.
- 7 min de lecture

Luang Prabang est la ville la plus touristique du Laos et reçoit d’année en année, davantage de visiteurs. Les restaurants sont de qualité et font de leur mieux pour satisfaire la clientèle. Les hôtels de standing poussent comme des champignons pour satisfaire les tour-opérateurs. Les touristes déambulent, joyeux et satisfaits, parfois bruyants et peu habillés mais toujours heureux de « faire le Laos » comme on dit dans le langage populaire. Certains sont capables de palabrer un temps infini pour faire une économie de 50 centimes.
Cependant, ils ne voient pas l’envers du décor. Ils n’accordent pas d’attention particulières à toutes ces personnes, ces « petites mains » qui sont là pour les accueillir, les écouter, les servir, toujours prêtes à les aider. Le peuple Lao est un peuple pacifique, accueillant, résiliant et nous ne nous arrêtons pas de le dire, mais à quel prix !
Officiellement le salaire minimum officiel au Laos est de 2 500 000 kips (environ 103 euros) mais en réalité dans la majorité des commerces, il n’est que de 2 000 000 de kips, voire moins. Je connais une jeune personne qui ne touche mensuellement que 1 800 000 k (environ 74 euros) et qui en plus doit pouvoir se loger comme beaucoup de ses collègues. Des chambres étroites et souvent sans fenêtre se louent entre 1 000 000 et 2 000 000 par mois selon leur distance par rapport au centre-ville. Alors que peuvent nos petites mains quand le loyer prend les 2/3 tiers du salaire ? Que faire quand on est malade et que l’on doit être hospitalisé ? Que faire quand les parents plus ou moins âgés vous demandent aussi de les aider financièrement ?
En ce qui concerne le logement, la plupart de ces jeunes locataires sont dans l’impossibilité de payer régulièrement leur loyer et vont cumuler des dettes auprès de leur propriétaire. Ces derniers profitent souvent de la situation et ajoutent des pénalités. Pour essayer de s’en sortir, ces petites mains vont emprunter de l’argent, le plus souvent auprès de leur employeur à un taux particulièrement usurier. Pour 300 000 empruntés, elles doivent rembourser 350 000 kips. Toutes ces petites mains ne travaillent pas comme serveur dans un restaurant. Nous les trouvons comme vendeuse dans les magasins ou dans des instituts de massage. La situation est d’ailleurs aberrante dans les instituts de massage. Elles sont contraintes de faire un nombre d’heures exponentielles et elles doivent même de l’argent à leur employeur si elles ont besoin de s’absenter pour des raisons personnelles ! On les voit souvent d’ailleurs à l’entrée du salon de massage, plus ou moins avachies, plus ou moins endormies par manque de sommeil. Je n’hésite pas à dire que dans certains cas, il s’agit d’une forme déguisée d’esclavagisme. Résultat, un certain nombre d’entre elles ne mangent qu’un très maigre repas et se couchent le ventre vide. Je connais plusieurs jeunes femmes qui ont récemment été hospitalisées pour dénutrition. L’une d’entre elle vient d’ailleurs de l’être une seconde fois au moment où j’écris ce texte. L’hôpital les gratifie d’une perfusion, les garde deux ou trois jours et les relâche après paiement des frais d’hospitalisation et de pharmacie car évidemment les frais ne sont pas gratuits et les pressions des soignants se font aussi sentir.
L’autre problème concernant ces petites mains est principalement culturel. Il est lié au devoir d’assistance que l’on doit envers ses parents. Les enfants sont dans l’obligation de les soutenir et de leur apporter assistance car trop souvent sans ressource. Nos petites mains toujours très attachées à leur famille vont, à chaque fois qu’elles le peuvent, leur apporter du riz, des légumes et des fruits. Elles donnent évidemment de l’argent pris sur leur salaire ou sur une autre activité. Les parents, souvent réduits à une seule personne d’ailleurs (la femme), ne sont pas regardants sur l’origine de l’argent. Ils en savent sans doute plus qu’ils l’expriment. C’est tabou. Cette dette filiale est un devoir sacré qui ne peut être remis en cause mais qui se fait au préjudice de la santé de nos petites mains.
Pendant la période du COVID, les restaurants, les magasins, les instituts de massage ont été fermés et les petites mains ont été renvoyées dans leur village. A leur retour, il a fallu qu’elles retrouvent un travail dans de moins bonnes conditions.
Les petites mains de Luang Prabang, souvent issues de milieux ruraux, ayant peu suivies une scolarité normale, se retrouvent prises dans une nasse d’où il est difficile d’en sortir. Et même si l’on ne doit pas généraliser, je ne peux que constater cette exploitation des plus faibles par des employeurs sans scrupule.
Alors que faire ? Dans ce « quoi faire », les hommes me semblent avoir davantage de possibilités de s’en sortir. Ils peuvent exercer deux emplois (un le jour et l’autre la nuit) et ils hésitent moins à s’expatrier. A l’inverse, le sort des jeunes femmes me semble plus difficile à traiter et parmi elles, la situation des jeunes mères célibataires est la plus dramatique.
Il est évident que ces jeunes femmes pour tenter d’avoir une vie décente se définissent volontairement ou pas, des stratégies de survie. La première, la plus évidente et la plus répandue est d’avoir une relation intime avec un étranger, de préférence occidental. Cela permet de se faire offrir des petits cadeaux et même d’annuler certaines dettes. Certaines histoires peuvent se terminer par un mariage ce qui constitue évidemment la réponse la plus idéale à une situation difficile. La prostitution occasionnelle (michetonnage) est une autre façon de tenter de modifier sa condition. Elle n’est pas perçue par ces femmes comme de la prostitution. Elle est pratiquée selon les nécessités du moment. Enfin, le dernier recours est évidemment la prostitution. A la différence du michetonnage, ces femmes savent ce qu’elles font. Ces pratiques peuvent passer par certains salons de massage mais pas seulement. Des hôtels dirigés par des commerçants d’origine chinoise tiennent également ce que l’on est bien obligé d’appeler des bordels. Ces proxénètes sont à l’origine du développement d’une prostitution organisée à Luang Prabang. Il doit y avoir des gangs organisés derrière ces pratiques mais je n’en sais évidemment rien. Les jeunes femmes Lao les plus en détresse sont repérées par ses structures et invitées, pour des sommes souvent dérisoires, à satisfaire des clients souvent d’origine asiatique.
D’autres petites mains refusent cette façon de gagner de l’argent et se retrouvent dans une situation de misère absolue et dans une dégradation irréversible de leur santé.
Pour bien comprendre ce processus, il me parait intéressant de témoigner sur trois situations qui illustrent l’engrenage dans lequel ces jeunes femmes peuvent tomber.
La première situation est celle de NA. C’est la plus jeune. Elle doit avoir 20 ans. Elle vient de perdre son père et elle s’est trouvée contrainte de payer des dettes de famille. Elle a toujours sa mère qui vit à la campagne et qui lui réclame de l’argent. Elle travaille dans une guesthouse à la périphérie de Luang Prabang et gagne 1 500 000 kips environ. Son loyer est de 1 000 000 mais elle doit payer 2 mois d’avance car son propriétaire n’est pas toujours là pour récupérer le montant du loyer. Comme elle n’a pas le moindre sou pour s’acheter à manger, elle a été hospitalisée par deux fois. Je pense toutefois qu’elle s’adonne à une prostitution occasionnelle. Une fois, elle m’a demandé si elle pouvait avoir une relation sexuelle toute une nuit avec un chinois pour 600 000 kips (25 euros environ) ce qui lui permettait d’acheter du riz pour manger. Elle ne le souhaitait pas mais elle ne voyait pas comment faire pour récupérer de l’argent. Je n’ai jamais su si elle était passée à l’acte ou pas. J’ai interprété son interrogation plus comme un rejet sur la nationalité de la personne (les chinois ne sont pas appréciés des Lao) que sur la nature de l’acte en lui-même. L’avenir de cette jeune femme est bien sombre. Elle est complètement dépressive et son projet pourrait bien d’accepter de se marier avec un ressortissant chinois.
La deuxième situation est celle de VIENG. Je connais sa famille. Elle doit avoir 25 ans et a deux enfants. Elle travaillait dans un salon de massage pour un salaire d’environ 2 000 000 de kips. C’est exactement le coût de la location de sa chambre. Elle doit envoyer régulièrement de l’argent à sa mère qui s’occupe de ses deux enfants qui ne sont pas scolarisés. Pour essayer de s’en sortir, elle a emprunté de l’argent à son employeur qui bien sûr prend un pourcentage. Elle ne peut évidemment pas s’en sortir financièrement. Elle exprime assez clairement son souhait de se trouver quelques clients (de préférence des occidentaux) à partir du salon de massage mais en raison de ses nombreuses absences, son employeur l’a remercié. En réalité, ces absences sont de nature médicale. Elle a subi une ablation de l’utérus et s’est retrouvée à l’hôpital par deux fois pour être tombé d’inanition. A chaque fois bien sûr, il faut payer les frais d’hospitalisation et de pharmacie. Elle a beaucoup maigri et ne pèse plus que 35 kilos. VIENG est une jeune femme volontaire, intelligente et qui a le souhait de vouloir sortir de sa condition. Le problème est qu’elle n’a aucune formation, qu’il serait souhaitable qu’elle puisse apprendre un vrai métier et qu’elle n’a personne pour l’aider.
La troisième situation est celle de DAO. C’est la situation que je connais la moins bien mais elle me semble proche des situations précédentes. Même salaire, même coût du loyer. Même dépendance financière. Elle aussi travaille dans un salon de massage mais cette fois-ci avec un employeur chinois. Je la soupçonne d’être dans une prostitution occasionnelle plus affirmée. Je pense aussi qu’elle se livre à l’occasion à quelques petits délits.
L’histoire de ces trois femmes n’est pas isolée. Elle décrit une situation de classe abominable car elles restent proches d’être les victimes d’une certaine forme d’esclavage. La responsabilité première en revient à leur employeur. C’est une responsabilité collective de tous ces entrepreneurs qui ne voient que leur intérêt et qui profitent du fait que ces petites mains ne sont pas en situation de revendiquer ou de se révolter. Ce n’est d’ailleurs pas dans la philosophie bouddhiste des Lao. D’un autre côté, c’est aussi la faute des autorités qui savent et qui ne font rien pour les protéger.
Alors encore une fois, que faire ?
Sur le plan individuel, notre comportement doit être exemplaire vis-à-vis de ces petites mains. Il s’agit de les écouter, de les soutenir et de les aider à la mesure de nos possibilités.
Sur un plan plus collectif, il serait pertinent d’ouvrir un foyer d’accueil à ces jeunes femmes pour éviter qu’elles tombent dans la prostitution, même occasionnelle. Ce foyer pourrait non seulement leur assurer le gîte et le couvert mais aussi leur permettre de s’inscrire dans un processus de formation professionnelle.
Jean-Michel Courtois
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