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Au Laos, rappeler que prescrire n'est pas la seule solution

  • PEMM
  • 2 juin
  • 3 min de lecture
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Lors de notre mission mobile boat en mars 2025, 1200 patients ont été auscultés à travers 3 villages reculés. Notre venue a attiré des centaines de patients par village. Pourtant, tous ne sont pas malades. Derrière la file d’attente interminable, c’est une autre réalité qui se dessine : une quête de médicaments à tout prix, comme preuve tangible d’avoir été soigné.


Lorsque les villageois sont prévenus de la venue des médecins falangs (étrangers) dans leur village, c’est une foule qui accourt. 1 200 patients se sont présentés, sans même compter ceux qui, découragés par l’attente, sont repartis avant d’être consultés. Cette forte mobilisation n’est pas causée par un virus, mais par la nécessité d'un diagnostic médical.


Quand le paracétamol devient un symbole, la prévention doit être la réponse

Les villageois ne veulent pas repartir les mains vides. Pour beaucoup, attendre plusieurs heures pour ne rien avoir entre les mains revient à perdre son temps. L’absence de diagnostic, ou la peur de ne pas être ausculté est vécue comme une déception. Alors, certains enjolivent, exagèrent, ou créent des symptômes, surtout pour leurs enfants. Sur 310 enfants consultés, 49 n’avaient rien à signaler, soit 17 % de cas.


Ceux qui repartent avec un sachet de médicaments, souvent du simple paracétamol l’exhibent fièrement, comme une preuve qu’ils ont été pris au sérieux. Ces comprimés deviennent des symboles de légitimité, de victoire après l’attente et signifie le souvenir d’un moment précieux: celui de voir un médecin. Notre rôle en tant qu'ONG dans la santé est alors précieux et déterminant : marteler qu’un médicament n’est pas l’objectif ultime, qu’il fait partie d’un protocole encadré avec des dosages à respecter lorsqu’il est nécessaire. La prévention est la clé dans bon nombres de situations. Manger moins de bonbons pour avoir de meilleures dents et moins de caries, manger moins de piments pour avoir moins mal au ventre. Tout au long de la semaine ce discours a été répété à de nombreuses reprises aux adultes et aux parents soucieux de la santé de leurs enfants.


Une remise en question des pratiques

Le filtrage à l’accueil, conçu pour mieux distinguer les ressentis des patients et les signes cliniques réels, se montre souvent insuffisant. L’afflux est tel que certains médecins laos sont tentés de remettre des médicaments sans auscultation, une pratique commune au Laos. Pour les praticiens étrangers, il s’agit aussi d’un choc culturel : comment refuser un traitement sans heurter ni froisser, surtout dans un contexte de forte demande et de croyances enracinées. La transformation des croyances repose sur un processus d'apprentissage et de dialogue. C'est ce que nous avons tenté de faire à travers notre travail. Entendre ces réalités et y répondre en expliquant nos positions: on ne donne pas de médicament au hasard, on ne le banalise pas. Lorsqu'il s'inscrit dans une relation de confiance et d'échange de savoir-faire, ce discours devient plus facilement acceptable.

Entre croyances et médecine : Une relation complexe au soin

Beaucoup de ces patients n’ont pas vu de médecin depuis des années. Pour certains, la médecine moderne reste floue, mêlée à des croyances animistes encore très présentes. Dans les villages kammu, les tatouages arborés par les personnes âgées en sont l’illustration parfaite. Ils symbolisent la protection contre les esprits, parfois même contre les balles. Selon les traditions locales, ces marques corporelles peuvent empoisonner les esprits malveillants. Dans un tel contexte, les médicaments deviennent eux aussi des objets symboliques, presque magiques.

La solution: un échange de savoir sur le long terme

Refuser de prescrire un médicament, c’est parfois mettre en péril une confiance fragile, bâtie sur un déplacement, une attente, un espoir. Mais céder systématiquement à cette demande entretient une dépendance, voire une incompréhension du véritable rôle de la médecine.


Les solutions ne peuvent être que progressives : former les médecins locaux, renforcer l’éducation sanitaire, expliquer dès le premier contact le rôle et les limites des médicaments, et intensifier la prévention des risques. Il s’agit également de valoriser la santé en elle-même, en montrant que n'avoir aucun problème de santé est une bonne nouvelle, et non une défaite.


Dans cette optique, le projet de bateau hôpital s'inscrit parfaitement: il assure un suivi continu dans les villages, garantissant une éducation sanitaire durable pour les patients et une formation continue pour les médecins locaux.


Eva ARDIN, au Laos


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