Par Emma Aumont, volontaire en service civique
Crédits photos : Emma Goulet
Le Laos, pays enclavé entre la Thaïlande, le Cambodge et le Vietnam attire de nombreux touristes dont une majorité de français) pour son « authenticité ». « c’est la Thaïlande d’il y a 50 ans » propos émis par des voyageurs rencontrés. Mais quels voyageurs ?
Depuis plusieurs années, une nouvelle manière de voyager à émerger : le backpacking. Ce mot anglophone est composé du mot « Back » qui signifie « dos » et « Packing » qui signifie « empaquetage ». Être backpacker est donc une personne qui voyage de façon autonome, avec peu de frais et généralement avec un seul sac à dos. D’après les backpackeurs, cette façon de voyager permet d’être libre, de pouvoir découvrir de nouvelles contrées et d’être au plus près de la population locale.
Le Laos fait partie d’un circuit très prisé actuellement par les jeunes adultes qui est celui de faire le « tour de l’Asie » signifiant plutôt le tour de l’Asie du Sud Est. Circuit qui peut faire rêver mais dont les étapes sont toujours les mêmes et souvent dans le même ordre. Les lieux visités, activités, lieux de restaurations se répètent. Les envies exprimées sont alors très similaires. Je me suis donc rendu compte que nos envies de « liberté », « d’aventure » n’étaient pas que subjectives mais venaient avec tout de la société où l’on évolue et notamment de l’influence des réseaux sociaux. Le voyage devient une forme de rite de passage pour « mieux se connaître », « profiter de sa liberté avant un engagement professionnel, marital ou avant d’avoir des enfants », …
J’ai alors joué le jeu pendant quelques jours pour vivre telle une backpackeuse.
Tout d’abord, ce qui m’a questionné c’est de voir que cette similarité de circuits, d’envies culinaires, d’activités impacte les lieux visités. On va alors retrouver de nombreuses propositions pour des tours de randonnées, visiter des villages d’ethnies, des activités aquatiques, … La ville ou village se transforme alors en une concurrence féroce entre tous ces guides qui mettent en avant que l’expérience sera « unique » et avant tout « locale ». Les restaurants proposent aussi une alimentation occidentale. J’ai pu voir écrit sur l’enseigne d’un restaurant « Marre de l’alimentation Lao, venez faire votre petit-déjeuner ici. Nous avons du pain, du beurre, de la confiture, du pain au chocolat, … ». Les restaurants mettent aussi de la musique douce et très souvent occidentale. Or la musique au Laos est surtout réservée à des rites, des cérémonies, … Ce qui m’a gêné est alors l’écart entre comment la population Lao vit en général et l’impact du tourisme sur le territoire. On retrouve alors des rues « réservées » aux touristes puisque les magasins, restaurants, agences de voyages ne correspondent pas aux besoins des lao ou sont inaccessibles financièrement.
Les voyageurs sont alors en quête d’authenticité et se retrouvent à voyager ensemble, à manger ensemble, à faire les mêmes activités. Par exemple, une des activités à faire absolument d’après les guides touristiques est d’aller voir le coucher de soleil sur le mont Phousi. Or, ce moment qui devrait être hors du temps et majestueux devient un cauchemar et anxiogène au regard du nombre de touristes. Le lieu est bondé, bruyant, les personnes se poussent. Une forme d’agressivité se développe envers l’autre. Le mont perd alors tout son charme ainsi que son côté religieux avec son temple bouddhiste.
De facto, une barrière de la langue est présente mais elle est aussi présente au niveau du territoire où on retrouve peu de mixité culturelle. Les voyageurs repartent alors avec des étoiles dans les yeux en lien avec la beauté du Laos, sa vie peu chère donc de nombreux plaisirs qui sont accessibles et qui ne le sont pas dans le pays d’origine. Ils repartent alors souvent en n’ayant pas pu réellement saisir les enjeux qui ont lieu au Laos. Les voyageurs se retrouvent dans une forme de dissonance cognitive où ils expriment du plaisir à payer un repas que 2€ mais souhaitent aussi que les habitants aient un revenu suffisant pour vivre. Certains voyageurs sont à la recherche d’une aventure authentique et locale mais n’ont pas recours à un guide officiel et déclaré (qui a investi dans son éducation) afin de minimiser le budget alloué à leur voyage. En effet, souvent les backpackers voyagent pendant plusieurs mois avec un budget limité d’où leur attirance des pays d’Asie et d’Amérique Latine qui méritent de voyager à bas prix tout en pouvant se faire plaisir. Or, cette possibilité de voyager autant de temps avec peu d’argent met avant tout en avant, la pauvreté du pays et les différences socio-économiques.
Cette manière de voyager est questionnable d’autant plus au Laos, le pays le plus pauvre de l’Asie du Sud Est.
Par ailleurs, les personnes laotiennes en général naissent, grandissent et vieillissent dans leur village. La mobilité n’est pas très développée. Le fait de partir à l’autre du bout du monde, d’aller de ville-en-ville en y restant peu de temps est une manière de voyager qui va à l’encontre même de leur manière vivre. Cette manière de voyager est très occidentale dans le fait de vouloir « tout voir » en peu de temps. Des bus, trains, bateaux, aéroports ont été mis en place afin de relier ses lieux touristiques et de les rendre encore plus facilement accessibles. Les moyens de transports sont parfois désignés comme réservés pour les touristes ou pour les locaux. Mais je me suis rendu compte que ceux réservés pour les locaux étaient remplis de touristes car la mobilité est un coût qui n’est pas accessible à l’ensemble de la population.
On retrouve alors une forme de pouvoir des occidentaux sur la population. En effet, tout est adapté aux touristes pour les satisfaire afin d’en attirer encore plus et d’avoir une source de revenus plus élevée et continue. On pourrait penser que le tourisme permettrait d’augmenter l’économie du pays. Cependant, je me suis rendu compte que de nombreuses enseignes sont en réalité tenues par des expatriés occidentaux qui ont les codes culturels pour attirer les touristes. Qui est alors réellement enrichie ?
Le backpacking, cette manière de voyager tel un routard n’est en soi ni bon ni mauvais mais nécessite d’être remise en question afin d’éviter ou de minimiser une forme de voyage consumériste et qui pourrait accentuer les inégalités économiques au sein de pays et de le fragiliser. En effet, je pense qu’il est important de se questionner sur ses envies, l’impact de ses choix. Pourquoi pas voyager plus longtemps au même endroit et pas forcément dans les lieux recommandés par de nombreux guides, prendre le temps d’aller à la rencontre de l’autre, de ses différences et de pouvoir rencontrer notre propre étrangeté car en effet rencontrer et découvrir réellement une nouvelle culture prend du temps et vient remettre en question la nôtre ainsi que nos croyances et vérités. Tout devient alors questionnable.
Thankyou for a deeper insight into the whole concept of what it means to be a traveler/tourist/backpacker. As a visitor to another country I think the best we can do individually is to leave that place better off than when we arrived - even the smallest action to improve another person’s life - and send a message that we are all in this world together & must find common solutions to move forward together. You have done that through your words so thankyou.
Bonjour, cet article est très intéressant et répond à ce que je ressens, de cette consommation du voyage, vu de loin, vu de Saint-Étienne, vu d'une personne qui voyage peu et qui ne voyage pas dans des pays pauvres. Ma dissonance cognitive serait trop violente pour que j'aille consommer de l'expérience pas chère aussi loin. Merci pour cet article, bonne journée