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Grandeurs et servitudes de l’humanitaire (témoignage)

Dernière mise à jour : 29 janv. 2020


C’est presqu’après 52 ans de travail à des postes divers dans le secteur social et médico-social que je me suis retrouvé à m’investir dans l’humanitaire. En effet, il m’avait suffi d’être confronté il y a maintenant une bonne dizaine d’années à la difficile vie de certaines ethnies dans le Sud-Est asiatique pour me sentir mobilisé. C’est ainsi qu’a pris naissance Peuples et Montagnes du Mékong (PEMM) et que s’est agrégé autour de cette association un certain nombre d’amis. Au début, nanti de notre seule bonne volonté, nous avons fait « feu de tout bois » et distribué vêtements, cahiers et médicaments sans véritable discernement. Rapidement cependant et grâce à l’opportunité d’amies médecins habituées à l’humanitaire, nous avons commencé à effectuer des interventions médicales dans des villages. Ces interventions qui pouvaient durer plusieurs jours permettaient d’orienter ou de soigner une centaine de patients par jour. Nous y restions trois ou quatre jours puis nous quittions les lieux sans forcément être en capacité d’u retourner. De ce fait, ces interventions ont montré leurs limites en ne permettant pas de travailler sur le moyen et le long terme. Elles constituaient un support intéressant sur le plan de la communication mais n’apportaient pas la preuve de leur efficacité dans le temps.

L’association a donc fait le choix de privilégier la formation en faisant appel à des praticiens d’expérience. Notre objectif est maintenant clairement d’améliorer les compétences des personnels de santé des hôpitaux de district et des dispensaires pour leur permettre de se passer de nos services. Enfin, il nous a semblé nécessaire de coupler nos formations avec la prise en compte de l’environnement dans lesquels ces personnels de santé travaillent. D’où notre participation à la construction d’un dispensaire et à l’érection de plusieurs citernes pour permettre à des dispensaires de disposer de l’eau courante.

Le choix éthique de prioriser la formation n‘ayant pas une visibilité médiatique évidente, les donateurs et autres bailleurs ne se précipitent pas pour nous aider financièrement. Ce manque de visibilité de nos actions nous oblige à une quête constante de recherche de financement

Se lancer dans l’humanitaire n’est pas simple et l’on se doit de convaincre à bien des niveaux. Le monde de l’humanitaire est un monde à part dans lequel il n’est pas facile de rentrer et il faut souvent plusieurs années d’activités pour enfin pouvoir espérer un semblant de reconnaissance. Les querelles de territoire, d’images et de compétences ne manquent pas ; les jalousies non plus.

Au sein de nos associations les mobilisations ne vont pas non plus forcément de soi. Le bénévolat a ses limites et si un travail constant de la pensée n’est pas fait autour des valeurs qui ont fondé l’association, l’engagement reste flou. Nous avons besoin de bénévoles actifs, engagés, militants et non d’observateurs plus ou moins passifs. Dans certaines associations, le souci de l’image passe avant celui de l’éthique.

Il faut remercier cependant toutes ces personnes qui donnent leur temps et leur argent pour faire en sorte qu’il y ait un peu plus de solidarité parmi les peuples. A Peuples et Montagnes du Mékong tous nos intervenants sont bénévoles et assument l’intégralité de leurs frais ce qui fait que l’argent reçu est dédié intégralement à nos missions. Les frais de gestion sont réduits à leur strict minimum ce qui n’est pas le cas de certaines associations connues pour « la qualité » de leurs fonds de réserve…

Sur place, notre arrivée dans le Nord Laos n’a pas été aussi simple. Il nous a fallu convaincre les autorités médicales de notre sincérité et faire la preuve de notre intégrité. Les règles de fonctionnement de l’administration laotienne sont contraignantes et non dénuées d’une certaine méfiance à notre égard ce qui a d’ailleurs amenées certaines associations à se retirer du Laos. Notre persévérance, le respect des règles du pays qui nous accueille et la qualité de nos prestations ont fait le reste. Nous entretenons aujourd’hui une relation de confiance avec les autorités de santé.

Notre arrivée sur le terrain n’est pas non plus passée inaperçue des différents acteurs de l’humanitaire. Dans un premier temps nous avons été ignorés, puis bien entendu critiqués pour finalement être reconnus par certains et pas par d’autres. Le partenariat entre associations humanitaires ressemble à un patchwork où le meilleur peut côtoyer le pire.

  • Il y a d’abord les individuels portés par une philosophie humaniste et parfois religieuse qui s’expriment le plus souvent par des dons de matériel scolaire dans certaines écoles. Certains proposent même leurs services pour quelques cours ou leçons pour un temps assez court. On peut ranger dans cette catégorie quelques voyageurs qui veulent bien « se rendre utile » et qui nous font appel pour exprimer leur bonne volonté. Certaines associations en tirent d’ailleurs profit en proposant une action de courte durée moyennant finances. Ils se répandent ensuite sur les réseaux sociaux pour satisfaire leur ego.

  • Il y a celles que j’appellerai les associations non représentatives. Il s’agit en fait d’une couverture juridique qui cache l’activité d’une seule personne. Je connais le nom d’une association qui a les mêmes initiales que son fondateur ! Ce dernier a cependant effectué quelques belles réalisations. Son seul problème, c’est l’ego.

  • Il y a évidemment les associations représentatives dont Peuples et Montagnes du Mékong fait partie. Elle sont quelques-unes à exercer dans le Nord Laos avec bien sûr des objectifs différents ce qui en soit peut constituer une véritable richesse. Ces associations ont un fonctionnement institutionnel et une organisation qui varient selon leur importance. Certaines ont des salariés et des possibilités financières importantes. Elles existent depuis des années, elles savent le faire savoir et ont par leurs actions un réel impact au Laos. Problème, alors qu’il faudrait travailler dans la complémentarité et la transversalité, chaque association a tendance à défendre son territoire et ses prérogatives au nom d’une certaine antériorité. Un effort a cependant été fait cette année et nous avons pu nous réunir et échanger au niveau de trois associations. C’est un commencement qu’il faut poursuivre en souhaitant que l’ensemble des associations exerçant dans le Nord Laos puisse un jour se mettre autour d’une table. A noter l’initiative très positive des services de l’Ambassade de France au Laos qui ont pris l’initiative d’ouvrir la plateforme InterActionsLaos. A mon sens, ces associations font un travail de proximité qui mériterait d’être mieux reconnu.

  • Il y a enfin les grandes ONG et les institutions bénéficiant de fonds des grandes organisations internationales qui restent en général sur des campagnes à caractère national et qui n’interviennent pas toutes directement sur le terrain. En général ces institutions nous ignorent superbement. Elles n’ont pas à se commettre avec des amateurs comme nous. Elles roulent plus pour leur propre structure que pour les donateurs ou les bénéficiaires et fonctionnent dans l’opacité. Leurs services techniques sont surdimensionnés et les salaires des cadres sont scandaleux. Leurs méthodes sont celles du secteur marchand. C’est ce que certains appellent la charité/business ! Nous ne sommes pas dans la même catégorie. Notre travail de proximité et d’accompagnement dans les dispensaires devrait intéresser des organisations internationales comme l’OMS qui n’ont structurellement pas cette possibilité. Il y a là aussi matière à complémentarité.

Pour revenir à nos associations et à nos propres limites, deux écueils de nature différente semblent devoir être évités : celui d’un risque de confusion entre solidarité et charité et celui trop fréquent d’un abus de narcissisme. Si l’acte consiste à donner à une communauté sans pour autant créer une relation (on donne et on s’en va), alors il s’agit de charité. Si au contraire se crée une relation d’aide qui permet à ceux qui reçoivent de pouvoir à leur tour, donner (contre-don), alors il s’agit d’un processus de solidarité. Ce qui va faire la différence bien sûr, c’est la continuité. C’est une chose de financer la construction d’un dispensaire, c’en est une autre de poursuivre la relation sous forme d’accompagnement pendant plusieurs années. Les associations sont-elles en capacité de maintenir un lien ? Les actions envisagées sont-elles définies pour perdurer dans le moyen terme et le plus long terme ? Cela ne sert à rien de distribuer à tout va si c’est pour se donner bonne conscience et ne plus revenir.

La question du narcissisme dans nos associations est aussi malheureusement une question centrale qui empoisonne les relations. Que dire de ces donneurs de leçons et de ces sauveurs de l’humanité qui vous prennent de haut pour vous édicter leurs vérités ? Que dire sur les réseaux sociaux de ceux qui se mettent un peu trop systématiquement en avant par une utilisation abusive du « je » ? Ils en oublient ce qui les a institué… D’où pour moi la nécessité de mettre en avant l’institution plutôt que l’individu.

Les associations humanitaires, c’est aussi un marché. Leur indépendance est parfois relative. Elles peuvent faire l’objet de manipulations diverses au profit d’administrations locales ou de sociétés. Elles ne sont pas à l’abri d’avoir à se confronter à la corruption. Certaines sociétés s’appuient sur des associations humanitaires pour pouvoir vendre leurs produits dans les pays émergeants. La stratégie est simple, l’ONG dans le cadre de ses activités sollicite des bailleurs institutionnels au nom d’un projet humanitaire (construction d’une école, d’un dispensaire, d’une citerne). Si la réponse de ces derniers est positive, la société trouve-là un marché à bon compte et devient le principal bénéficiaire de l’opération en fournissant le matériel nécessaire à la réalisation du projet.

De leur côté, les bailleurs eux-mêmes ne sont pas à l’abri de certaines manipulations. On peut citer l’exemple de l’un d’entre eux qui à partir d’une subvention que l’on définira comme financièrement modeste a engagé une campagne de communication qui lui aurait coûté par ailleurs plusieurs milliers d’euros.

Les associations humanitaires sont fragiles et à la merci d’intérêts qui n’ont pas toujours à voir avec l’humanitaire. Le fonctionnement actuel est proche du fonctionnement anglo-saxon où ce sont finalement les entreprises qui décident (c’est leur argent) à qui et comment ils vont participer à une action de mécénat ? Rentre alors en compte un principe simple : celui du ratio investissement/rentabilité. Dis autrement : je veux bien donner (en oubliant pas toutefois que le don est déductible à 66% des impôts) mais en contrepartie, qu’est-ce que cela me rapporte ? Tout en respectant le principe de la loi de 1901, les associations humanitaires devraient être soumises à plus de règles et de contrôle. Obligations comptables d’abord en terme de budgets, d’investissement et de fonds de réserve. Obligation également de rendre public le nom des bailleurs institutionnels et le montant de leurs dons. Nécessité d’adhérer à une fédération garante d’une éthique collective.

La question de l’éthique est plus que jamais d’actualité. La crédibilité de leurs actions passe par une transparence de leur fonctionnement et de leurs actions et un rendu-compte permanent, non seulement à leurs membres mais plus généralement à la société civile.

Fait à LUANG PRABANG

Le 29 novembre 2019 Jean Michel COURTOIS

Président

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